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L’encadrement des loyers redistribue les cartes

L’encadrement des loyers parisiens a une valeur expérimentale pour les métropoles régionales qui seraient tentées d’appliquer ce dispositif. C’est pourquoi il est temps de faire un premier bilan. D’autant que les professionnels évoquent un marché en pleine mutation. Qu’en est-il pour les bailleurs, les locataires, les investisseurs...?

Un an, au minimum. C’est le délai que nous nous étions fixé, en octobre dernier (1), pour tirer sereinement les premières conclusions de l’encadrement des loyers parisiens, mis en place à titre expérimental, le 1er août 2015. Mais, à mi-parcours, les témoignages que nous avons pu recueillir auprès de bailleurs privés comme d’agents immobiliers font déjà état d’une évolution notable. Tous décrivent un marché en pleine mutation. La crainte émise avant l’application de la mesure d’une réduction du parc locatif semble partiellement se vérifier. Certains bailleurs ont purement et simplement abandonné la partie. En réalité, l’encadrement des loyers n’enterine-t-il pas, plutôt que de l’avoir créée, une tendance depuis longtemps esquissée?

Les bailleurs acceptent de baisser leurs loyers, ou vendent

C’est sur le segment des petites surfaces que la désaffection des bailleurs est la plus patente. Celui sur lequel la rotation locative est la plus forte mais celui, aussi, qui a vu sa rentabilité le plus durement rabotée par l’encadrement. «Certains bailleurs acceptent de revoir leur loyer à la baisse, jusqu’à 30 % dans les cas les plus extrêmes, d’autres préfèrent vendre», nous explique Fabrice L’Herminier, gérant des trois agences Paris Neuilly Immobilier, dans le XIIe arrondissement. Ainsi, ce 15 m² de la rue Dobropol, à proximité de la porte Maillot, que ses propriétaires ont décidé de ne pas relouer pour ne pas tomber sous le coup de l’encadrement, et qui s’est vendu «en quelques jours» pour 10 000 €/m². Car, contre toute attente, la demande pour les petites surfaces semble rester vive, «même si les acheteurs ne sont plus nécessairement des investisseurs», poursuit Fabrice L’Herminier.
Nathalie Naccache, gérante de la société Fortis Immo et responsable de quatre agences dans le centre de Paris, où les petites surfaces sont majoritaires, raconte avoir «perdu le mandat d’environ 10 % des biens dont le bail est arrivé à échéance depuis le 1er août». Soit six appartements. Deux des propriétaires concernés ont préféré mettre leur bien en vente plutôt qu’accepter «une baisse de loyer drastique», et les quatre autres ont choisi de botter en touche. Soit ils ont cédé aux sirènes de la location meublée saisonnière, «en toute irrégularité d’affectation», encourant des sanctions sévères s’ils sont pris sur le fait par la mairie, soit ils ont décidé de remettre en location leur bien en se passant de l’agence, moyennant un loyer supérieur au plafond.
Car aucun contrôle n’ayant été prévu, les plafonds de loyer ne sont pas forcément respectés. «Il suffit de faire un tour sur les sites d’annonces de particuliers pour s’en rendre compte», poursuit Nathalie Naccache. Toutes les agences ne sont pas non plus aussi scrupuleuses que Fortis Immo: selon une enquête réalisée par le site MeilleursAgents pour Le Monde (2) pas moins de 29 % des biens mis en location par le biais de professionnels entre le 1er août et le 31 décembre derniers l’ont été au-dessus des plafonds. «Compte tenu de la pénurie de logements, tous finissent par se louer, mais cela se fait au détriment des locataires autant que des propriétaires qui jouent le jeu», déplore Nathalie Naccache. Une stratégie qui peut sembler tentante mais ne se révèle pas toujours payante. Non seulement les locataires ont trois ans, à compter de la signature du bail, pour contester le montant de leur loyer devant la commission départementale de conciliation, mais le bailleur n’est pas assuré de réussir à louer son bien au-dessus des plafonds.

Les locataires se montrent plus exigeants

En effet, les locataires comparent, et ils ont le choix. Trois semaines ont ainsi été nécessaires à Henri B. pour relouer son studio du quartier Beaugrenelle, dans le XVe arrondissement. À 640 € hors charges, ce 18 m² était «plutôt abordable par comparaison aux autres appartements du quartier, avant l’encadrement», indique son propriétaire. Aujourd’hui, il dépasse d’une centaine d’euros le loyer médian majoré de la zone (3). Habitué, depuis dix ans qu’il loue sans agence, à «ne pas chercher plus de deux jours pour retrouver un locataire», Henri B. n’a reçu qu’une dizaine d’appels dans les dix premiers jours de publication de son annonce - sans conclure. Dix jours et quelques coups de peinture plus tard, il vient enfin de trouver un candidat dont le profil lui semble intéressant et qui accepte de payer le prix demandé.
Au-delà de l’anecdote, ce cas particulier illustre un phénomène nouveau: le plafonnement des loyers a légitimé et renforcé l’exigence des locataires. Gilbert Chouchana, directeur de trois agences Laforêt dans le XIVe arrondissement, évoque «une nouvelle donne sur le marché locatif parisien. On a longtemps vécu dans l’idée qu’en raison du manque de logements disponibles, il n’était pas difficile pour un bailleur de trouver des locataires, quel que soit le prix demandé. Ce n’est plus automatique», constate-t-il. D’abord, parce que l’état général du bien et la proximité d’une station de métro jouent un rôle de plus en plus déterminant dans la fixation du niveau du loyer. Sur ce point, le témoignage de Gabriel C. en dit long: pour relouer un studio de 28 m² situé dans le XIIe arrondissement, près de la porte de Vincennes, il vient d’abaisser de 50 € le loyer initialement proposé, pourtant conforme au plafond (750 € hors charges), faute de visiteurs intéressés. «Il est beaucoup plus difficile à louer aujourd’hui qu’il y a cinq ans, sauf à faire des travaux que je ne peux me permettre de réaliser dans l’immédiat», nous a-t-il confié.
Mais si les locataires se montrent plus exigeants, c’est aussi parce que la hiérarchie traditionnelle entre les arrondissements se trouve bouleversée par le zonage des loyers introduit avec l’encadrement. «Les loyers les plus durement touchés sont ceux des quartiers les plus chers, notamment ceux des Ve, VIe, et VIIe arrondissements, dont on constate qu’ils ont tendance à se rapprocher de ceux pratiqués dans les XIVe et XVe, voisins», poursuit Gilbert Chouchana. Ce qui induit un autre effet pervers: pour le même prix, les locataires privilégient les arrondissements centraux, plus cotés. L’un des clients de l’agence, muté dans le nord de l’Europe, vient de mettre en location son deux-pièces de 30 m² dans le quartier Pernety (XIVe), proposé meublé . «Le plafond pour ce type de bien est de 31,8 €/ m², explique Gilbert Chouchanna. Nous pourrions donc légalement le mettre sur le marché avec un loyer de 954 € hors charges. Sauf qu’à ce prix-là, il ne se louerait pas - ou alors difficilement -, et avec un risque accru de vacance.» L’appartement a finalement été loué pour 800 € hors charges.
Lorsque nous l’avions interviewée au moment de la mise en place de l’encadrement, Geneviève Prandi, directrice de l’Observatoire des loyers parisiens (Olap), dont les travaux statistiques ont servi de base à cette mesure, avait insisté sur le fait que le dispositif «permettrait aux règles de marché de s’appliquer, dans la limite des loyers de référence majorés» (4). Les faits, à ce stade, semblent lui donner raison…

Le lissage s’étend à la proche banlieue

Très logiquement, cette tendance au lissage ne s’arrête pas aux portes de la ville, mais semble déjà s’étendre à sa proche banlieue. Jean-Louis Tiberghien, directeur de l’agence L’Adresse CT Immobilier, à Issy-les-Moulineaux, évoque ainsi «l’effet tâche d’huile de l’encadrement», mesure qui «oblige à se poser la question, à chaque renouvellement de bail, du maintien du loyer des appartements de petite surface. À prestations équivalentes, il est difficile de louer au même niveau des deux côtés du périphérique…». De fait, il arrive que certains biens occupés depuis quelques années soient aujourd’hui loués au-dessus des loyers de référence des quartiers parisiens les plus proches. Tel ce studio de 18 m² situé au 6e étage sans ascenseur d’un immeuble isséen, remis sur le marché mi-février au prix de 590 € hors charge (son loyer depuis deux ans), soit de 10 € à 20 € de plus que les plafonds autorisés pour ce même type de biens dans les quartiers voisins de Saint-Lambert (31,1 €/m², soit 559,8 €) et Javel (31,7 €/m² soit 570,6 €), dans le XVe arrondissement de Paris. Le bailleur, propriétaire de plusieurs appartements franciliens, a déjà dû consentir un rabais de 15 % sur le loyer d’un studio de 17 m² qu’il loue dans le XIe arrondissement. «Rien n’est décidé, mais il envisage de revendre ses petites surfaces pour se concentrer sur les deux-pièces, segment moins touché par l’encadrement et plus sûr en termes de rotation locative», explique Jean-Louis Tiberghien.
L’intérêt des investisseurs se déplace
Selon les chiffres de Century 21, les achats immobiliers réalisés à titre de placement n’ont représenté que 23,8 % des transactions réalisées l’année dernière dans la capitale, contre 25 % en 2014 et environ 30 % en 2011. Une baisse nette, que le président du réseau, Laurent Vimont, décrit comme «la conséquence logique d’un environnement peu porteur: aux craintes classiques de la gestion locative sont venues s’ajouter les inquiétudes sur l’encadrement des loyers, dispositif dont on n’a connu le périmètre exact qu’à la fin du mois de juillet dernier, et dont la philosophie même n’est pas de nature à rassurer les investisseurs». Sans pour autant exclure un retournement de tendance à terme, le dirigeant estime que la méfiance des investisseurs à l’égard de la pierre parisienne devrait se poursuivre tout au long de l’année en cours, au minimum.
Yann Jehanno,directeur exécutif de Laforêt Immobilier,relève quant à lui que «l’encadrement des loyers a accéléré le retrait des investisseurs aguerris, ceux qui possèdent plusieurs biens et privilégient la rentabilité. Seuls restent aujourd’hui les investisseurs dits «patrimoniaux», à la recherche de logements bien placés, au rendement plus faible mais qui se loueront facilement, et qu’ils n’auront aucun mal à revendre». Un phénomène dont il est, à ce jour, difficile d’évaluer l’ampleur exacte, mais qui pourrait expliquer qu’à Paris, comme en proche banlieue, les petits appartements continuent de se vendre «sans difficulté et, pour l’instant, sans baisse de prix» mais à «des acheteurs souvent moins intéressés par la notion de rapport que par l’opportunité de se constituer un patrimoine, pour y loger un enfant ou dans l’optique d’une revente avantageuse», poursuit-il.
Pour autant, tous les investisseurs n’ont pas renoncé au rendement. Ils ont simplement déplacé leur centre d’intérêt pour le préserver. Les communes de la proche banlieue parisienne bénéficient de ce report, les Hauts-de-Seine (92) et la Seine-Saint-Denis (93) en tout premier lieu: «La demande locative y est forte et même si la tendance est effectivement à une certaine uniformisation des loyers, c’est sur les prix d’achat que la différence se fait», note Pierre Giraud, responsable des activités du réseau Orpi pour le nord et l’est de la région Île-de-France. Michel Daloglou, franchisé Laforêt à Suresnes et Puteaux, dresse un constat similaire, évoquant «les 2 000 € d’écart» entre la moyenne des prix parisiens et ceux de ces deux villes, voisines du quartier d’affaires de La Défense, qui les rend attractives. Un deux-pièces de 26 m² dans un immeuble 1930 de la rue Jean-Jaurès, dans l’hypercentre de Puteaux, vient ainsi de trouver preneur pour 149 000 € frais d’agence compris ; son propriétaire le loue 700 € hors charges, soit un rendement brut de 5,8 %. Une station de tram plus loin, rue de Verdun, à Suresnes, un studio de 17 m² acheté 105 000 €, est loué depuis deux mois pour 575 € hors charges, soit une rentabilité de 6,6 %. «Partout où les transports en commun se développent, il est aujourd’hui possible de réaliser une bonne opération», reprend Pierre Giraud.Les statistiques récentes de Century 21 confirment cet attrait des départements limitrophes de Paris: à l’exception de l’Essonne (94) et de la Seine-et-Marne (77), où elle a reculé d’environ 10 et 21 % respectivement, la part des biens vendus par les agences du réseau à des investisseurs a progressé assez nettement en 2015, avec un pic à +21 % en Seine-Saint-Denis (93).
À chacun selon son objectif. L’on a ainsi affaire, comme le résume bien Pierre Giraud, à un marché binaire: «D’un côté, Paris et sa très proche banlieue, réservés aux ménages dotés d’un apport important et qui pensent à long terme, dans une optique patrimoniale ; de l’autre, le reste de la région Ile-de-France, qui attire plus les investisseurs axés sur le rendement, ceux qui vont s’endetter pour réaliser leur opération et chercher à maximiser le delta entre ce qu’elle leur coûte (mensualité + fiscalité) et les loyers qu’elle leur rapporte.» L'encadrement des loyers est plus révélateur d'une tendance de fond qu'acteur du changement.

À Paris et en province, les situations des investisseurs se ressemblent

Et si les évolutions constatées à Paris et dans sa banlieue n’étaient pas aussi intimement liées à l’encadrement des loyers qu’on l’imagine? C’est en tout cas l’avis de Daniel Znaty, responsable de la direction immobilière de l’UFF, banque conseil en gestion de patrimoine, qui note que «la situation parisienne n’est au fond pas très différente de celle qu’on observe dans la totalité des grandes villes de province. Partout, les investisseurs ont le choix entre la recherche du rendement ou la “patrimonialisation”. Compte tenu de la hausse des prix, les premiers ont depuis longtemps déjà délaissé le centre des agglomérations pour se concentrer sur les zones périphériques les plus actives, où la demande est forte et les tickets d’entrée moins élevés. On ne devrait pas s’étonner que ce soit le cas à Paris, où l’encadrement des loyers apparaît finalement plus comme un révélateur d’une tendance de fond que comme la cause d’un changement.» C’est certainement le cas dans certaines villes de province. Ainsi, Gilles Vaudois, gérant de trois agences Laforêt à Lyon (IIIe et VIe arrondissements) et à Villeurbanne, nous décrit-il le changement de stratégie d’un de ses clients, qui a renoncé à son projet d’acheter plusieurs petites surfaces dans le centre lyonnais pour se rabattre sur un cinq-pièces de 118 m² à Villeurbanne. Acheté 260 000 €, il sera loué à quatre étudiants et pourrait dégager une rentabilité brute de l’ordre de 6 %. À Toulouse, dont la pierre «reste très recherchée pour sa sécurité», Eric Massat, cogérant du chasseur d’appartements Domicilium, est de son côté «régulièrement contacté par des investisseurs venus d’Albi, de Carcassonne ou d’Auch», petites villes du sud-ouest de la France, «désireux de réaliser une opération patrimoniale dans l’hypercentre ; ils préfèrent acheter plus petit ici un bien qu’ils loueront sans difficulté et qui ne perdra pas de valeur». À l’inverse, certaines villes de la proche périphérie toulousaine sont ciblées par des investisseurs à la recherche de bons rendements. Comme à Aussonne, «marché d’accédants avant tout», où Isabelle Scolaro, responsable de l’agence L’Art de l’immobilier, vient ainsi d’être mandatée par un client à la recherche d’un deux ou trois-pièces d’une cinquantaine de mètres carrés, pour un budget de 100 000 € environ.
L’exemple parisien tend à montrer que si l’encadrement des loyers n’affecte qu’à la marge les stratégies des investisseurs, la manière dont il rebat les cartes n’est pas sans conséquences pour les locataires autant que pour les bailleurs en place. Les métropoles régionales tentées, comme Lille, de sauter le pas, seront bien avisées d’en tenir compte si elles veulent en maîtriser toutes les conséquences.

Emmanuel salbayre

(1) Voir notre «Loyers plafonnés, quel impact sur le marché?», LPI n° 323. (2) «Dans l’est de Paris, l’encadrement des loyers est bafoué», par Jérôme Porier et Romain Imbach, paru le 1.2.16. (3) 30,1 €/m2 pour un studio non meublé construit entre 1946 et 1970, soit 341,8 €. (4) LPI n°323.

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