Publicité

La fin du papier dans les copropriétés?

Remplacer le papier par des supports informatiques permettant l’accès aux documents liés à l’immeuble, leur partage, leur conservation, tel est le but de la dématérialisation. Une technologie à laquelle la loi Alur donne un formidable coup d’accélérateur.

La dématérialisation sera-t-elle bientôt installée dans le quotidien des copropriétaires via les extranets* d’immeubles? C’est ce que laisse présager une mesure instaurée par la loi Alur, obligeant les syndics professionnels à assurer aux copropriétaires, à compter du 1er janvier 2015, «un accès en ligne sécurisé aux documents dématérialisés relatifs à la gestion de l’immeuble ou des lots gérés, sauf décision contraire de l’assemblée générale prise à la majorité de l’article 25 de la présente loi» (art. 18 I, nouveau de la loi du 10 juillet 1965). Un accès différencié selon que le copropriétaire internaute sera membre du conseil syndical ou non. Par ailleurs, la loi Alur prévoit la dématérialisation de l’envoi des convocations et procès-verbaux d’assemblées générales, ainsi que des mises en demeure. Une disposition en attente d’un décret d’application.

Dématérialiser, jusqu’où? Pour qui?

Que les administrateurs de biens y trouvent leur intérêt, cela ne fait aucun doute. Les extranets d’immeuble ont d’ailleurs déjà été adoptés par certains grands groupes, tels Citya, Foncia, Oralia ou Sergic. «La gestion comptable et la gestion électronique des documents (GED) viennent alimenter directement les extranets. Les professionnels peuvent y accéder où qu’ils se trouvent, au moment où l’information leur est nécessaire, et leurs échanges avec les tiers, entreprises prestataires, géomètres, notaires… s’en trouvent facilités. Le gain de temps est pour eux considérable», explique Jacques Bigand, président du groupe informatique Gercop, éditeur de logiciels spécialisés.
Les copropriétaires ont-ils pour autant matière à s’en réjouir? Selon l’Association des responsables de copropriétés (ARC), la réponse serait négative. «Croire que les syndics vont mettre en ligne tous les documents de la copropriété n’est pas réaliste. Il faudrait, par exemple, que le “grand livre” des comptes, incrémenté au jour le jour, y soit consultable. Ce qui n’est, à notre connaissance, pas le cas.» Un scepticisme que partage David Rodrigues, juriste à la Consommation Logement Cadre de vie (CLCV), pour qui l’extranet de copropriété ne serait qu’«un beau gadget dont les copropriétaires eux-mêmes ne sont pas demandeurs». Ce que ne démentent pas les professionnels. «Le législateur est allé bien au-delà des demandes des copropriétaires, qui restent encore très attachés au support papier, constate Stéphane Glucksmann, DG adjoint du groupe Citya. Notre groupe est largement en avance par rapport à la demande: notre extranet permet aux copropriétaires de payer leurs charges en ligne, mais nous n’enregistrons qu’un faible taux d’utilisation et même de consultation. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, le facteur de blocage ne tient pas à l’âge du copropriétaire mais à son degré de confiance en l’outil», analyse-t-il.
Surtout, cette nouvelle obligation suscite bien des questions: les copropriétés pourront-elles disposer librement et sans limite de temps des informations mises en ligne, ou les syndics, ayant la main, auront-ils tout loisir de modifier, voire de faire disparaître certaines données à leur seule initiative? Ces données seront-elles transférables, sans frais, d’un syndic à l’autre, en cas de changement? La loi Alur ne prévoit rien à cet égard. Pas plus qu’elle ne répond aux questions soulevées par les coffres-forts numériques, la signature électronique et le respect des exigences de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Peut-être un décret y pourvoira-t-il?

Des mesures impraticables

Enfin, les problèmes pratiques suscités par la mise en œuvre de certaines de ces mesures semblent insurmontables. C’est le cas de la dématérialisation de l’envoi des convocations aux AG. D’abord, il faut obtenir l’accord des copropriétaires sur le principe. Le document est ensuite déposé avec une signature électronique entre les mains d’un tiers de confiance dûment habilité, puis on adresse à chacun des copropriétaires concernés un mail indiquant le code d’accès à une plate-forme sécurisée. Enfin, chacun doit envoyer un accusé de réception électronique, cet accusé et lui seul faisant courir le délai légal. Ce qui signifie que faute de retour dans les temps, il faudra, avant d’entamer les 21 jours de préavis minimum pour la convocation en AG, par exemple, avoir recours à la traditionnelle lettre recommandée. «Une usine à gaz qui risque d’engendrer un sur-risque juridique et beaucoup de contentieux» résume David Rodrigues… Autre écueil: la mise en demeure par voie électronique. Elle nécessite, elle aussi, l’accord préalable du destinataire. Or, quel mauvais payeur va s’employer à faciliter la tâche de qui entend le poursuivre?

Vers une flambée des tarifs?

Reste enfin à déterminer si cette révolution numérique se fera sans surcoût pour les copropriétaires. S’ils ne nient pas les gains de productivité actuels ou potentiels qu’elle devrait générer, les professionnels ne s’engagent pas pour autant à en répercuter les bénéfices sur les copropriétés qu’ils administrent. Loin de là. Ils se préoccupent plutôt, aujourd’hui, de l’accumulation des obligations induites par la loi Alur: tenue de comptes séparés, immatriculation des copropriétés, communication à une agence centrale des données comptables après la clôture de chaque exercice, élaboration de fiches techniques d’immeuble… Certes, la transmission des données sera facilitée - pour peu que la compatibilité des systèmes soit au rendez-vous - mais il faudra, au préalable, générer les documents requis. La dématérialisation fera-t-elle partie du forfait de base, dans un système de rémunération des syndics fondé sur le principe du «tout sauf…»? Il est permis de le penser mais nul ne peut encore le confirmer. «Nous ne sommes pas encore en mesure d’évaluer le poids de toutes les exigences supplémentaires. Une certitude, cependant: la dématérialisation va, dans un premier temps, nous obliger à nous doter de nouveaux moyens techniques et à former nos collaborateurs. Les conséquences économiques seront variables selon les cabinets, mais elles auront nécessairement un impact sur les honoraires», affirme Stéphane Glucksmann.

Françoise Juéry

*Un intranet est un réseau informatique interne à une entreprise ou une communauté. Un extranet est un réseau similaire étendu à certains clients, fournisseurs, contacts de l’entreprise ou de la communauté.

La fin du papier dans les copropriétés?

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
À lire aussi