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Mariage pour tous: les enfants au coeur de la loi

L’ouverture du mariage aux couples du même sexe constitue une première étape de l’évolution du droit de la famille. Un second projet est annoncé d’ici à la fin de l’année. Mais les députés ont anticipé la réforme en ébauchant un statut des beaux-parents.

Quatorze ans après l’adoption du pacte civil de solidarité, la France s’apprête à autoriser les couples homosexuels à se marier. La première étape a été franchie le 12 février, l’Assemblée nationale ayant adopté le projet de loi «ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe», voté par 329 voix pour et 229 contre. Le gouvernement avait pris soin de limiter le champ du projet à la seule question du mariage, avec pour objectif d’offrir aux couples homosexuels une protection aussi étendue que celle dont bénéficient les couples hétérosexuels mariés.

Un engagement officiel et une meilleure protection juridique

En cas de décès, les couples homosexuels mariés se verront attribuer une pension de réversion ; ils auront la qualité d’héritier légal reconnue au conjoint survivant et pourront accroître ces droits légaux par une donation au dernier vivant. En cas de séparation, le couple divorcera dans un cadre judiciaire, le conjoint financièrement le plus fragile pouvant prétendre à une prestation compensatoire.

Les termes de père et mère maintenus

Le projet ne comporte aucune disposition sur la filiation. Un sujet éminemment sensible, puisque, pour de nombreux juristes, le mariage est indissociable de la présomption de paternité. L’objet même du mariage républicain, à l’origine, consistait à désigner comme père légitime d’un enfant le mari de sa mère. Cette présomption ne sera pas étendue aux couples mariés de même sexe. Au terme d’un très vif débat, les députés ont maintenu dans le code civil les expressions, fortement symboliques, de père et mère, précisant qu’il fallait remplacer ces mots par celui de parent pour les couples de même sexe. Quant aux termes de mari et femme, eux aussi très sexués, ils sont changés par celui d’époux. Cette substitution est expressément écartée pour tous les articles concernant la filiation. L’article 312 du code civil selon lequel «l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari» n’est donc pas modifié.

Selon l’Institut national des statistiques et des études économiques (Insee Première n° 1435, février 2013), 200 000 couples déclarent vivre avec une personne de même sexe, et 10 % d’entre eux vivent au moins une partie du temps avec un enfant. Les associations de gays et lesbiennes estiment, elles, à 300 000 le nombre d’enfants élevés par des parents de même sexe.

Le mariage, sésame pour l’adoption

Jusqu’à présent, un concubin ou partenaire de pacs ne peut pas adopter l’enfant de son compagnon ou de sa compagne. Le code civil n’autorise, en effet, le partage de l’autorité parentale avec le parent biologique que si l’adoptant est son conjoint (art. 365 du code civil). Les tribunaux ont ainsi toujours refusé l’adoption dans un couple non marié de l’enfant de l’un par l’autre, jugeant contraire à l’intérêt de l’enfant de faire perdre au parent biologique l’autorité parentale en la transférant au parent adoptant.

En autorisant le mariage, le projet lève cet obstacle et ouvre la faculté aux couples homosexuels d’adopter l’enfant de l’autre (né d’une précédente union hétérosexuelle, né après une procréation médicalement assistée à l’étranger ou encore adopté seul). En adoptant, le conjoint du parent biologique créera un lien juridique entre lui et l’enfant qu’il élève. En cas de décès du parent biologique, l’adoptant continuera de plein droit à s’occuper de l’enfant. Au décès du parent adoptif, l’enfant héritera de son patrimoine. Il ne s’agit pas d’écarter l’autre parent biologique s’il a reconnu l’enfant. Tant que l’enfant est mineur, son adoption nécessite l’accord des deux parents biologiques. L’enfant, lui-même, devra être consulté à partir de 13 ans.

Le droit à adopter en couple un enfant, s’il est aussi ouvert, restera très théorique. Les adoptions, en France comme à l’étranger, ne s’élèvent qu’à quelques milliers par an, le nombre d’enfants adoptables étant très réduit. Et la plupart des pays refusent toujours l’adoption aux couples homosexuels.

Deux initiatives des députés contestées

Les députés ont amorcé la création d’un statut juridique du beau-parent au sein de tous les couples. Le juge aux affaires familiales accepterait plus facilement qu’un parent délègue son autorité parentale à la personne qui partage sa vie (mariée ou non), facilitant ainsi au quotidien ses échanges avec les médecins, l’école…

Cette délégation prend le plus souvent fin en cas de séparation. Mais, dans l’intérêt de l’enfant, le juge pourrait alors prendre des mesures pour maintenir des relations entre l’enfant et la personne avec laquelle il a noué des «liens affectifs durables». Un beau-père ou une belle-mère aurait la possibilité de revendiquer un droit de visite s’il se sépare du père ou de la mère de l’enfant.

Autre initiative des députés, le nom du père cesserait d’être retenu par défaut, en l’absence de choix ou en cas de désaccord entre les parents. Cette disposition, qui concerne tous les couples: hétérosexuels ou homosexuels, parents biologiques ou adoptifs, prévoit que l’enfant prendra les deux noms (un seul nom par parent), accolés selon l’ordre alphabétique. Les parents devraient donc impérativement faire une déclaration conjointe à l’état civil pour que leur enfant porte le seul nom du père.

Ces deux initiatives ne semblent pas du goût des sénateurs, qui débattront du projet de loi à partir du 4 avril prochain. Jean-Pierre Michel, sénateur socialiste et rapporteur du projet, a laissé entendre, à mots à peine voilés, que le Sénat y apporterait des corrections.

Une loi sur la famille annoncée pour la fin de l’année

Le projet de loi reste muet sur la question de la procréation médicalement assistée (PMA), au grand dam des associations de gays et lesbiennes qui militent pour son ouverture aux couples de femmes. En France, le recours à la PMA est réservé aux couples hétérosexuels, mariés ou non, ne pouvant pas avoir d’enfant (stériles ou porteurs de maladie grave, transmissible génétiquement). Quant à la gestation pour autrui (GPA ou convention de mère porteuse), elle reste interdite et est contraire à l’ordre public. Même si un couple y recourt dans un pays étranger qui l’autorise (Royaume-Uni, l’État de Californie aux États-Unis…), il ne peut pas faire transcrire cette naissance sur l’état civil français, et est ainsi privé de livret de famille. Le 25 janvier dernier, la ministre de la Justice a néanmoins rappelé aux préfets, par circulaire, que la suspicion du recours à une mère porteuse n’empêchait pas la délivrance d’un certificat de nationalité française pour un enfant né à l’étranger, si sa filiation était établie dans ce pays de naissance avec un citoyen français. Le gouvernement, suivi par les députés, a reporté les questions bioéthiques soulevées par la PMA et la GPA au projet de loi sur la famille, présenté à la fin de l’année. Un artifice législatif taxé d’hypocrisie par les défenseurs du mariage homosexuel comme par ses détracteurs.

Frédérique Schimidiger

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