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Coup de déprime ou dépression?

Gérard de Nerval, Vincent Van Gogh, le rugbyman Christophe Dominici, Claude Berri ou encore Philippe Labro ont souffert de dépression. Comme eux, environ un Français sur cinq affronte un jour cette maladie. L’Organisation mondiale de la santé estime qu’elle représentera la deuxième cause d’invalidité dans le monde à l’horizon 2020, derrière les maladies cardio-vasculaires. En France, selon le baromètre santé publié en 2010 par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), 7,50 % des 15-85 ans avaient vécu un épisode dépressif caractérisé au cours des 12 derniers mois. Les femmes sont près de deux fois plus concernées que les hommes.

La déprime, simple baisse de moral

Fatigue, manque d’entrain, envie de ne voir personne, irritabilité, démotivation sont, certes, des visages de la dépression, mais ils ne sont pas spécifiques de cette maladie. Tout le monde éprouve ces noirceurs de l’âme de temps en temps. Alors, tous dépressifs? Non, évidemment! “Il y a un problème sémantique. La confusion est faite entre les moments de déprime et les maladies dépressives. Les premiers sont des à-coups émotionnels ordinaires. Les secondes désignent une réalité pathologique qui peut revêtir plusieurs formes cliniques et trouve sa cause dans divers types de dysfonctionnements”, décrypte le Pr Jean-Pierre Olié, membre de l’Académie nationale de médecine et psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. En d’autres termes, d’un côté des baisses de moral pénibles, mais banales ; de l’autre, une véritable maladie.
Pour autant, il n’est pas facile de distinguer la déprime de la dépression. “La notion d’humeur est importante, reprend le Pr Olié. C’est ce qui nous fait percevoir les stimuli de manière plus ou moins positive. Retenons que nous sommes tous des cyclothymiques.” Il est donc normal d’avoir des baisses de moral, des jours avec et d’autres sans, des coups de blues ou des moments d’abattement ; des systèmes de régulation se chargent de rééquilibrer notre état d’esprit.

Deux semaines d’humeur noire sans aucun répit

La dépression va bien au-delà de ces désagréments. “Il ne s’agit pas d’une simple baisse de moral, souligne le Pr Charles-Siegfried Peretti, chef du service de psychiatrie à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. Pour la caractériser, il faut la coexistence de cinq symptômes, dont obligatoirement la perte d’intérêt ou de plaisir pour toute activité, ou une humeur dépressive et triste en permanence.” Ces symptômes doivent se manifester depuis au moins 2 semaines.
Grâce à cette liste (voir "Les symptômes de la dépression"), il devient plus simple de différencier la déprime de la dépression. La première est transitoire ; la seconde pérenne. “Elle est surtout beaucoup plus handicapante. Alors que la déprime n’empêche pas de travailler, la dépression amoindrit considérablement les performances de ceux qui en souffrent”, précise le Pr Peretti. “Les maladies dépressives marquent une rupture des capacités de fonctionnement. Le sujet devient différent de ce qu’il était auparavant, confirme le Pr Olié. L’intensité des symptômes dépasse largement les variations ordinaires de notre humeur, à tel point que s’impose la notion de douleur psychique.” Parallèlement, le patient dépressif peut souffrir de troubles somatiques, comme des problèmes de transit intestinal ou de libido, des trous de mémoire, des douleurs articulaires, des vertiges…

Dépression masquée, hostile ou souriante

Même si les symptômes de la dépression sont bien définis, il n’est pas toujours évident de poser le diagnostic. En effet, à la différence du cardiologue, qui dispose, notamment, de l’électrocardiogramme pour déterminer si le patient qui se plaint de la poitrine risque de faire un infarctus, les médecins sont démunis pour objectiver les troubles dépressifs. Ils ne peuvent s’appuyer sur aucun examen biologique: le diagnostic est purement clinique. “Il est patent dans 80 % des cas, assure le Pr Olié. Mais, parfois, on peut hésiter.” Notamment, lorsqu’il s’agit d’une dépression masquée - le patient présente des symptômes essentiellement somatiques (maux de dos, de tête, troubles digestifs…), il ne se plaint pas d’un abattement moral extrême ; d’une dépression hostile - la personne manifeste surtout de l’agressivité - ou de mélancolie souriante, dans laquelle une vive douleur psychique se cache derrière une sociabilité de façade.

Des facteurs de vulnérabilité qui s’additionnent

Chez certaines personnes, des facteurs de vulnérabilité amenuisent la capacité à réguler l’humeur. Ainsi les prédispositions génétiques jouent-elles un rôle dans la survenue de la maladie, même si les nombreuses études menées sur le sujet n’ont pas identifié de gène de la dépression. Un dérèglement du cerveau peut être une autre cause. “Certaines personnes présentent un biais cognitif du traitement de l’information. Elles ont tendance à donner énormément d’importance aux informations négatives”, indique le Pr Peretti. De même, un dysfonctionnement du cerveau dans la région de l’amygdale ou de l’hippocampe “peut se traduire par une grande appétence pour les événements et les émotions à connotation négative, reprend le spécialiste. D’où, une réactivité accrue aux situations dépressogènes et une propension à retenir, avant tout, ce qui revêt une dimension négative”. Enfin, des traumatismes ou des expériences particulièrement stressantes sont déterminants dans l’apparition d’une dépression. “Le premier épisode dépressif survient toujours après une sommation d’événements de vie négatifs significatifs”, affirme le Pr Olié. La dépression s’inscrit donc comme la cicatrice émotionnelle et fonctionnelle de faits ayant concouru à altérer les systèmes de régulation de l’humeur. Mais une fois que la dépression a frappé, elle n’a plus besoin d’éléments déclencheurs pour réapparaître.
Par ailleurs, il y a plusieurs explications au fait que la dépression concerne près de deux fois plus de femmes que d’hommes. Entrent en jeu des facteurs génétiques - “toutefois, ils ne sont pas vraiment identifiés”, constate le Pr Olié - et physiques: “L’instabilité hormonale retentit sur l’état émotionnel”, poursuit le psychiatre. Cela dit, “des raisons sociologiques sont plus probables, qui renvoient à la place et à l’image des femmes dans la société, à la double mission, professionnelle et familiale, qu’elles doivent endosser, etc. Enfin, à niveau de pathologie équivalent, les femmes ont davantage recours aux systèmes de soins que les hommes”, nuance-t-il (voir "Baby- blues ou dépression post-partum").

Un épisode dépressif dure de 6 à 8 mois

Les maladies dépressives disparaissent spontanément dans 80 % des cas après 6 ou 8 mois. Néanmoins, la prise en charge reste indispensable, car, dans un cas sur deux, il y aura un jour un deuxième épisode dépressif et, dans un cas sur cinq, la dépression deviendra chronique. Cette nécessité de traitement médical distingue les maladies dépressives de la simple déprime. “Cette dernière est un état transitoire qui ne se traite pas médicalement, estime le Pr Peretti. On peut bien sûr en parler à un thérapeute, mais cela n’est pas fondamentalement nécessaire puisqu’il n’existe pas de pathologie.” À l’inverse, une personne dépressive doit se faire aider pour guérir. Depuis la fin des années 1950, les médecins disposent de médicaments antidépresseurs. Parfois décriées, ces molécules sont, pourtant, aujourd’hui très variées. Leurs effets indésirables sont moins nombreux que par le passé, et elles sont souvent efficaces.
“Après plusieurs mois de dépression, on peut constater une altération des cellules, signe d’une souffrance cérébrale, poursuit le Pr Peretti. On observe, notamment, une diminution définitive du volume de l’hippocampe, ce qui peut entraîner une mauvaise qualité du vieillissement cérébral. La prescription d’antidépresseurs, qui stimulent l’activité neuronale, réduit ce risque. De même que les techniques de stimulation cérébrale pratiquées dans certains hôpitaux.” Cependant, ces médicaments ne doivent pas être prescrits à la légère. “La mise en place d’un traitement doit être réfléchie, mesurée, discutée entre le patient et son médecin, car il va durer plusieurs mois”, souligne le psychiatre. Les antidépresseurs n’agissent pas immédiatement, il faut entre 4 et 6 semaines avant qu’ils produisent leurs effets et qu’ils dissipent les symptômes de la dépression. La durée du traitement doit être au moins égale à celle de l’épisode dépressif, soit une dizaine de mois.

La psychothérapie complément indispensable des antidépresseurs

Le recours aux médicaments est utile, voire essentiel, mais le traitement doit s’accompagner d’une psychothérapie. “L’association des deux stratégies donne les meilleurs résultats”, assure le Pr Peretti. Les patients déprimés ont le choix entre plusieurs psychothérapies: interpersonnelles, fondées sur la pleine conscience, d’inspiration psychanalytique, etc.. Toutefois, les thérapies cognitives et comportementales semblent être les plus efficaces dans le traitement de la dépression. Elles s’appuient sur des exercices pratiques suggérés par le praticien “pour aider le patient à apprendre à gérer des pensées alternatives, explique le Pr Peretti. Le malade s’extrait ainsi petit à petit de ses ruminations dépressives et comprend comment lutter contre leur caractère envahissant.” Au fil des séances - une douzaine -, il prend aussi conscience que ses idées noires ne sont que le fruit d’erreurs d’interprétation de son cerveau dont il n’est pas responsable. La dépression, pas plus que n’importe quelle autre maladie, n’est honteuse. Et comme pour toute pathologie, il existe des stratégies de prise en charge efficaces, à condition d’accepter de se faire aider. Or, près de la moitié des personnes dépressives ne consultent pas.

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