Publicité

Quand le cœur n’en peut plus

Lorsque Norbert, 78 ans, sort faire ses courses, il doit s’arrêter tous les 100 m, s’adosser à un mur ou s’asseoir pour reprendre son souffle. Et quand il remonte les escaliers qui le conduisent à son appartement du deuxième étage, l’effort est encore plus éprouvant. Comme de 5 à 10 % des plus de 75 ans, Norbert souffre d’insuffisance cardiaque, une pathologie dans laquelle “la pompe cardiaque ne fonctionne plus assez pour assurer un débit suffisant pour couvrir les besoins de l’organisme dans la vie de tous les jours”, explique le Pr Richard Isnard, président du groupe de travail sur l’insuffisance cardiaque à la Société française de cardiologie.

Si le grand public connaît généralement les signes de l’infarctus du myocarde ou de l’accident vasculaire cérébral, il ignore souvent ce qu’est l’insuffisance cardiaque. De fait, “les symptômes - essoufflement, fatigue, œdèmes des membres inférieurs - sont trop fréquemment pris à la légère, déplore le Pr Isnard. Un septuagénaire à bout de souffle après un simple effort mettra cette difficulté sur le compte de l’âge, banalisant ainsi le signe d’un possible problème d’origine cardiaque”. Pourtant, la prise en charge précoce de cette maladie évolutive est essentielle (voir l'encadré “Une maladie qui évolue par poussées”). En effet, la moitié des malades décèdent dans les 5 ans qui suivent le diagnostic. Les praticiens estiment que l’insuffisance cardiaque concerne environ 1 % de la population. Une prévalence qui augmente avec l’âge, “car la pompe cardiaque s’abîme au fur et à mesure que le temps passe”, reprend le Pr Isnard. Donnant lieu à plus de 150 000 admissions par an, elle constitue la première cause d’hospitalisation chez l’adulte de plus de 65 ans.

La conséquence de toutes les maladies cardiaques

L’insuffisance cardiaque n’apparaît pas spontanément. Elle est l’aboutissement de toutes les maladies cardiaques - troubles coronariens, anomalies des valves du cœur, hypertension artérielle, etc. -, qui compliquent de plus en plus le travail du cœur, le fatiguent et finissent par l’épuiser. Prenons l’exemple de l’hypertension. Dans cette pathologie, une forte pression règne dans les artères sans que, pendant des années, le moindre symptôme se manifeste. Néanmoins, pour conserver un débit sanguin constant, le cœur doit s’adapter et fournir de plus en plus d’efforts. Cette adaptation est efficace dans les premiers temps, mais aboutit, à terme, à un épaississement et une rigidification du muscle cardiaque. Le volume de sang que peut contenir le cœur diminue, restreignant par conséquent la quantité d’oxygène qu’il est capable d’envoyer dans l’organisme. Autre exemple, typique de l’infarctus, en cas d’affection des artères coronaires (reliant l’aorte au cœur), une partie du myocarde n’est plus irriguée, se nécrose et ne se contracte plus correctement. Aussi le cœur n’est-il plus en mesure d’éjecter le sang dans les artères. On peut également citer les problèmes de valves, ces petits clapets qui garantissent l’étanchéité entre les différents compartiments du cœur, et entre le cœur et les artères. Quand une valve fuit ou se calcifie, le cœur doit forcer pour continuer d’envoyer toujours autant de sang. Comme dans le cas de l’hypertension, ces efforts supplémentaires provoquent un épaississement du muscle cardiaque et une altération de sa puissance. Enfin, l’insuffisance cardiaque peut être due à certaines affections du muscle cardiaque (cardiomyopathies) d’origine génétique, causées par des toxiques (drogues, alcool, certains médicaments), consécutives à une grossesse (cardiomyopathie du post-partum), révélatrices de carences (en vitamines B1, par exemple) ou résultant d’une inflammation du myocarde (myocardite).

L’échographie du cœur, un examen clé

Pour diagnostiquer une insuffisance cardiaque, les praticiens disposent de plusieurs techniques. L’électrocardiogramme donne une première idée, mais l’examen de référence est l’échocardiographie: “Elle apporte énormément de renseignements sur le fonctionnement du cœur, l’état des valves, le remplissage des ventricules, la fonction d’éjection, etc.”, indique le Pr Isnard. Grâce à ces indices, il est parfois possible de traiter ce qui a été identifié comme la cause de l’insuffisance. Ainsi, une artère coronaire peut être débouchée, une valve défaillante remplacée. Une prise de sang complète la panoplie des examens. Elle permet de doser le peptide natriurétique (BNP), une substance dont “le taux croît considérablement en cas d’insuffisance aiguë, moins dans l’insuffisance chronique”, poursuit le Pr Isnard. La première forme est plus grave que la seconde, car, même au repos, le patient ne peut plus respirer correctement ou présente un état œdémateux, qui nécessite, le plus souvent, une hospitalisation pour administrer des traitements par perfusion.

L’éducation du patient, une priorité

Quel qu’en soit le stade, l’insuffisance cardiaque doit être prise très au sérieux. Les complications sont nombreuses et potentiellement gravissimes: troubles du rythme cardiaque pouvant occasionner une mort subite, insuffisance rénale, problèmes thromboemboliques. La mise en place précoce d’un traitement est donc essentielle. “La prise en charge doit, notamment, reposer sur l’éducation du patient, afin que celui-ci comprenne les enjeux du traitement, insiste le Pr Isnard. Malheureusement, nous ne disposons pas de structures suffisantes pour accueillir tous les malades. Un hôpital qui décide de créer un centre d’éducation ne bénéficie d’aucune recette supplémentaire. Toutefois, comme pour le diabète, de plus en plus de voix s’élèvent pour souligner combien cette éducation du patient est importante.”

Concernant l’alimentation, le dogme du régime sans sel est abandonné. Évidemment, il n’est pas question de manger tout et n’importe quoi. “On sait qu’il y a davantage de risques de faire une poussée aiguë après avoir consommé une choucroute ou un plateau de fruits de mer. Les services d’urgence accueillent, d’ailleurs, beaucoup d’insuffisants cardiaques après les fêtes, souligne le Pr Isnard. Le régime conseillé n’est pas totalement désodé, mais pauvre en sel, de l’ordre de 6 g par jour.” Le patient est également invité à conserver une activité physique, elle aussi primordiale. “Moins on en a, plus ce sera coûteux d’en avoir une. Marcher 30 min par jour sans aller jusqu’à l’essoufflement est une bonne habitude”, précise le cardiologue. Enfin, la vaccination contre la grippe peut être salutaire, les épisodes d’infection risquant de se traduire par des poussées d’insuffisance.

Des traitements par médicaments

Au chapitre des médicaments, les mêmes molécules sont prescrites chez presque tous les patients. Ce sont d’abord des diurétiques, censés éliminer l’excès de sel. À cause de l’insuffisance cardiaque, les reins ne sont plus correctement irrigués ; ils évacuent donc moins bien le sel et l’eau, ce qui entraîne des œdèmes des poumons et des jambes. Quant aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), “ils bloquent des systèmes hormonaux délétères à long terme, améliorent l’état clinique et prolongent la survie”, décrit le Pr Isnard. Les bêtabloquants, eux, s’opposent aux effets néfastes de l’activation du système nerveux sympathique, qui se manifestent dans l’insuffisance. Ils ont une incidence considérable sur la mortalité. Enfin, “les inhibiteurs de certaines hormones rénales peuvent aussi être prescrits”, indique le Pr Isnard.

Intervenir sur les valves cardiaques

Parfois, le traitement implique le recours à des actes chirurgicaux. C’est notamment le cas lorsqu’une ou plusieurs valves cardiaques dysfonctionnent, soit en raison d’une sténose (un rétrécissement), soit parce qu’elles fuient. Leur réparation ou leur remplacement contribue, en effet, à corriger la cause de l’insuffisance. Elles peuvent être remplacées par “des valves mécaniques, ou artificielles, ou par des bioprothèses, prélevées sur des animaux. Les premières, plus pérennes mais nécessitant la prise d’un traitement anticoagulant, sont, le plus souvent, implantées chez les patients de moins de 65 ans. Les sujets plus âgés recevront généralement une valve biologique, dont la durée de vie est limitée à 10 ou 15 ans, mais qui ne requiert par d’anticoagulation”, détaille le Pr Alain Pavie, chirurgien cardiaque à l’Institut de cardiologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Dans la majorité des cas, la chirurgie cardiaque s’effectue à cœur ouvert. Toutefois, une technique mini-invasive permet d’intervenir sans ouverture du thorax. “Ses indications restent limitées. Elle est réservée aux patients dont le risque opératoire est supérieur à 20 %”, tempère le Pr Pavie.

Le classique pontage

Le pontage coronarien permet, lui aussi, de limiter l’évolution d’une insuffisance cardiaque lorsqu’une artère coronaire est sténosée. En effet, le rétrécissement de cette dernière empêche le muscle cardiaque d’être correctement irrigué. Si le vaisseau est complètement obstrué, c’est l’infarctus. Sans intervention immédiate, des régions du myocarde peuvent mourir, et le cœur se détériorer de façon irréversible. Le pontage consiste donc à suturer des morceaux de vaisseaux sains prélevés sur le patient lui-même sur une artère coronaire afin d’en contourner le rétrécissement. Les greffons proviennent généralement des artères mammaires, car ils restent alors perméables bien plus longtemps que les prélèvements réalisés sur des veines.

La greffe, ultime recours

Lorsque le cœur reste défaillant malgré les traitements et le suivi scrupuleux des règles hygiéno-diététiques, il peut être envisagé de le remplacer chez des sujets de moins de 70 ans. Chaque année, environ 400 personnes bénéficient d’une transplantation cardiaque, une opération réalisée dans 24 centres en France. L’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière en effectue environ 90 par an. “Nous constatons que ce type de greffe est susceptible d’allonger considérablement la vie des malades, affirme le Pr Pavie. La moitié des personnes transplantées vivent encore 12 ans après l’opération. Plusieurs de nos malades sont toujours vivants 30 ans après leur greffe. Tous ces gens seraient morts s’ils n’avaient pas reçu un nouveau cœur.” Parfois, dans l’attente d’une greffe ou pour prendre en charge une insuffisance cardiaque aiguë, une machine d’assistance circulatoire suppléant complètement le cœur grâce à une pompe artificielle est mise en place. Ce dispositif de circulation extracorporelle permet de stabiliser provisoirement le patient. “Certains malades récupèrent après avoir été ainsi stabilisés, notamment dans le cas de myocardites aiguës, des maladies inflammatoires causées par des virus”, assure le Pr Pavie.

Des appareils légers, comme les pacemakers, permettent d’assister pendant des années un cœur défaillant. Certains remédient aux troubles du rythme cardiaque (voir l'encadré “Pacemakers, défibillateurs et resynchronisateurs”, p. 61). D’autres sont plus radicaux. Ainsi, la pompe, placée sous la peau, assure l’essentiel du débit sanguin. Ce matériel est efficace, mais nécessite des batteries externes encombrantes. De plus, le câble d’alimentation passe à travers la peau pour rejoindre les batteries, ce qui en fait une source potentielle d’infection.

Des cellules souches pour relancer un cœur à bout de souffle?

À l’avenir, quelles techniques pourraient permettre de suppléer, de réparer ou de remplacer un cœur trop abîmé pour remplir son rôle? Récemment des annonces, à gros enjeux commerciaux, ont fait état de l’implantation d’un cœur artificiel (en réalité, la technique existe depuis les années 1980). Toutefois, aux yeux de nos interlocuteurs, la thérapie cellulaire, c’est-à-dire l’injection de cellules souches capables de se multiplier dans l’organisme et de reconstituer un cœur malade, est la piste la plus porteuse. “La régénération myocardique est un grand espoir. Refaire des cellules cardiaques représente une voie de recherche importante, mais il n’y a, pour l’heure, que peu de résultats probants. Nous en sommes encore loin”, commente le Pr Isnard

Sujets

Quand le cœur n’en peut plus

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner