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Un encadrement peu efficace dans un marché atone

Applicable dans près de 1 290 communes, le dispositif plafonnant les augmentations de loyer, lors d’un renouvellement de bail ou d’une relocation, devrait avoir peu de répercussions à court terme. En effet, depuis plus d’un an, les loyers stagnent, voire décroissent légèrement.

38 agglomérations où les loyers sont les plus élevés

Parmi les 38 agglomérations visées par le décret, 27 sont situées en métropole. On trouve, bien sûr, Paris, mais aussi Annecy, Annemasse, Bordeaux, Creil, Lyon, Menton, Nice, Toulouse ou encore Strasbourg. En revanche, des villes telles qu’Angers ou Dijon ne sont pas concernées. La sélection géographique s’est effectuée à partir d’un double critère: dans les agglomérations visées, les loyers ont augmenté, chaque année, de plus de 3,2 %, entre 2002 et 2010, et dépassaient, en moyenne, 11,10 €/m² en 2011. «Ce niveau est supérieur au niveau moyen de loyer constaté sur l’ensemble du territoire, qui s’établissait, en 2011, à 10,40 €/m²», justifie-t-on au ministère de l’Égalité des territoires et du Logement. Les chiffres retenus pour établir la carte des communes concernées, sont ceux de l’Observatoire des loyers Clameur. Un organisme qui, pour le ministère, est, à ce jour, «le seul capable de fournir des données comparables entre elles et à une échelle fine sur l’ensemble du territoire métropolitain».
Le décret encadrant les loyers est, selon l’aveu des services de Cécile Duflot, «une mesure d’urgence» visant à stabiliser «une évolution trop rapide des loyers». D’après les statistiques publiées par Clameur, entre 1998 et 2012, la progression moyenne annuelle des loyers à la relocation a été de + 2,9 %. Toujours selon l’observatoire, le loyer moyen atteignait, en août 2012, pour la France entière, 12,60 €/m². Mais cette moyenne, comme souvent, cache des disparités. Géographiques d’abord, puisque dans certaines villes, comme Bordeaux (12,30 €/m²), Rennes (11,80 €/m²), Lyon (12,40 €/m²) et Marseille (12,30 €/m²), les loyers s’en approchent, mais à Nice (14,40 €/m²) et surtout dans la capitale (23,70 €/m²), les prix demandés par les bailleurs sont beaucoup plus élevés. Ensuite, la superficie du logement a une incidence sur le niveau du loyer. Alors que celui d’un cinq pièces s’établissait, en moyenne, à 9,30 €/m², à l’été 2012, un studio se louait environ 16,80 €/m². Des studettes et chambres de bonne parisiennes peuvent même se louer plus de 40 €/m².
Même si, indéniablement, les niveaux de loyers restent élevés - par exemple, pour un deux pièces, les prix se situent autour de 450 €/mois à Nantes, 480 € à Strasbourg, 650 € à Toulouse, 750 € à Nice et 1 000 € à Paris -, il semble qu’ils aient commencé à se stabiliser. Les bailleurs ne profitent quasiment plus, depuis plusieurs mois déjà, de leurs deux possibilités légales de hausse. La première, lorsque le loyer du locataire en place est manifestement sous-évaluée. La seconde, lors de l’entrée dans les lieux d’un nouveau locataire. Par conséquent, l’impact du décret encadrant les hausses de loyers pourrait être quasiment nul.

Peu de bailleurs augmentent le loyer en cours de bail

La loi du 6 juillet 1989 encadrant les locations donne aux bailleurs la possibilité contractuelle d’augmenter le loyer d’un locataire en place. Mais, dans ce cas, la hausse ne peut excéder celle de l’indice de référence des loyers (IRL). À l’échéance du bail (3 ans si le bailleur est une personne physique et 6 ans si c’est une personne morale), l’article 17-c de cette même loi permet toutefois de réévaluer un loyer, s’il est «manifestement sous-évalué». Le bailleur doit alors fournir des références - 3 ou 6 suivant la localisation géographique du bien - de loyers plus élevés pratiqués dans le même quartier pour des biens comparables.
Le décret du 20 juillet a toutefois réduit la portée de cette procédure - le bailleur ne peut plus réévaluer le loyer que de la moitié de la différence entre le loyer payé par le locataire et celui du marché (voir Les nouvelles règles pour fixer et revaloriser un loyer). De plus, celle-ci est si complexe que son utilisation est toujours restée marginale, chez les bailleurs particuliers du moins. «Même lorsque le loyer était en deçà du marché, les bailleurs baissaient souvent les bras face à la complexité de cette procédure», constate Emmanuel Di Girolamo, président de la chambre de la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim) du Nord. «Les propriétaires préfèrent perdre quelques dizaines d’euros plutôt que prendre le risque d’entrer en conflit avec leur locataire», ajoute Gérard Durr, président de la chambre Fnaim du Bas-Rhin.

La relocation était souvent l’occasion d’une hausse

La véritable nouveauté du dispositif c’est l’encadrement des loyers à la relocation. Jusqu’à présent, au départ d’un locataire, le propriétaire pouvait librement fixer le loyer demandé au nouvel arrivant. Ce changement d’occupant étant souvent l’occasion, pour le bailleur, de procéder à quelques travaux (28,2 % des biens reloués en ont fait l’objet depuis le début de l’année 2012), et il en profitait, en général, pour revaloriser le loyer. Désormais, l’augmentation sera plafonnée, en cas de relocation, sans gros travaux (voir p. 30), à la variation de l’IRL (+ 2,20 % au 2e trimestre 2012).
Cependant, on s’aperçoit actuellement que la hausse tarifaire appliquée à l’occasion d’une relocation est de moins en moins élevée. Selon l’observatoire Clameur, de + 6,6 %, en 2006, elle était tombée à + 3,2 %, cette année. Une orientation que confirme notre enquête, réalisée à la fin de l’été. Partout, les loyers de relocation ont tendance à stagner, y compris dans les marchés locatifs réputés dynamiques. Les hausses sont exceptionnelles et n’excèdent généralement pas l’évolution de l’IRL.
«Depuis un an déjà, à Nice et à Menton, nous relouons aux mêmes prix. Parfois, nous sommes même obligés d’appliquer des baisses qui peuvent atteindre 5 %», confie, en effet, Frédéric Pelou, président de la chambre Fnaim des Alpes-Maritimes. Le constat est le même à Marseille. «Notre préoccupation n’est pas de limiter la hausse des loyers de relocation car nous sommes plutôt contraints de les baisser de quelques dizaines d’euros pour qu’ils trouvent preneurs! Je viens, par exemple, de louer, dans une belle copropriété du XIIIe arrondissement de Paris, un grand trois pièces avec une terrasse de 40 m² pour 1 150 € par mois. Le locataire précédent payait 1 230 €», témoigne Claire Moreau, responsable d’une agence immobilière Era. À Toulouse, un deux pièces ancien en centre-ville avec un garage - ce qui est rare - vient de se relouer 725 €/mois, contre 760 € précédemment. Dans le Nord, les professionnels observent la même tendance. «L’encadrement des loyers n’aura aucun impact, y compris dans les meilleurs quartiers de Lille. On a déjà beaucoup de mal à relouer au même prix», explique Emmanuel Di Girolamo. Les loyers sont également stables voire en légère baisse, depuis 2011, à Strasbourg. Le marché lyonnais n’échappe pas au mouvement. Selon Nicolas Bouscas, directeur de l’administration des biens à la Fnaim du Rhône, «le loyer du nouveau locataire est généralement le même que celui de l’ancien. Il peut arriver que certains biens, dans des secteurs recherchés tels que la Croix-Rousse ou Ainay, soient reloués en hausse, mais l’augmentation est alors minime et excède rarement la progression de l’IRL». Quant à la ville de Nantes, fief du premier ministre Jean-Marc Ayrault, elle connaît une situation semblable. Jean-Marc Ciuch, président d’Immogroup Consulting, observe que les «loyers de relocation n’y ont progressé que de 1,85 %, entre 2011 et 2012». Soit moins que la progression de l’IRL.
Enfin, même sur les secteurs traditionnellement inflationnistes tels que le bassin genevois et la région parisienne, les loyers n’augmentent quasiment plus. «Le marché est loin d’être morose et la vacance locative est faible. Pour autant, la problématique de l’encadrement des loyers n’en est pas une, car, depuis un an, ceux-ci stagnent», assure Grégory Monod, président de la chambre Fnaim des Savoie. «À Paris et dans sa région, les loyers ont cessé d’augmenter ; que ce soit à la relocation ou en cours de bail. Dans certains appartements, j’ai même arrêté d’appliquer l’IRL aux locataires en place», renchérit Pierre-Antoine Menez, vice-président de la chambre Fnaim d’Île-de-France.
Deux phénomènes expliquent cette stabilisation des loyers. Tout d’abord, l’arrivée sur le marché des biens construits dans le cadre du dispositif Scellier. «À Grenoble, la demande locative s’est détendue depuis les premières livraisons de ces logements», témoigne Yvan Moryussef, président de la chambre Fnaim de l’Isère. Ensuite, le contexte économique a écorné le pouvoir d’achat des locataires. En province, par exemple, les locations excédant 700 € par mois peinent à trouver preneur.

Seuls les grands logements pourraient pâtir du nouveau dispositif

À y regarder de plus près, deux catégories - marginales - de bailleurs pourraient toutefois être touchées par l’encadrement des loyers. Premièrement, ceux qui, pour une raison personnelle - la location à un proche, par exemple -, avaient fixé un loyer dans la fourchette basse, voire légèrement en deçà, des prix du marché. Deuxièmement, ceux qui ont un locataire en place depuis très longtemps. «Les biens dans lesquels les locataires n’ont pas bougé pendant 10 ou 15 ans pourraient être les seuls sur lesquels l’encadrement des loyers sera effectif», affirme Gérard Durr. Il s’agit souvent de grands logements dans lesquels des familles restent des années et finissent par s’acquitter d’un loyer déconnecté du marché. De plus, ont l’a vu, jusqu’à présent, les bailleurs utilisent peu leur possibilité d’augmenter un loyer manifestement sous-évalué en cours de bail. Ils profitent plutôt d’un changement de locataire pour le remettre au niveau du marché. Selon Clameur, en 2011, à l’occasion d’une relocation, le tarif d’un studio ne progressait que de 1,6 %, alors que celui d’un appartement familial de cinq pièces grimpait de 3 %.

Les professionnels craignent des effets pervers

Si les professionnels, à l’instar de Gérard Durr, considèrent que le dispositif d’encadrement des loyers est «un coup d’épée dans l’eau», il n’en est pas pour autant dépourvu d’effets pervers. Certains bailleurs pourraient avoir la tentation de s’affranchir de la loi ; quitte, pour cela, à remettre au goût du jour certains agissements. Un risque d’autant plus réel qu’il arrive que, sporadiquement, le marché soit déséquilibré, notamment sur les petites surfaces au moment des rentrées scolaires et universitaires «On risque de voir réapparaître des pratiques illicites, comme le versement d’un droit d’entrée ou d’une partie du loyer payé au noir», s’alarme Jean-François Buet, président de la Fnaim. D’autant que les justificatifs à fournir par le bailleur, comme les sanctions applicables en cas de non-respect du dispositif, ne sont pas précisés par les textes. Au final, de telles pratiques, en plus d’être illégales, iraient à l’encontre de la philosophie du dispositif. «On va défavoriser la frange la moins aisée et la plus fragile des locataires» s’inquiète Pierre-Antoine Menez.
Surpris à leur retour de vacances par la mesure décidée cet été, les bailleurs commencent à prendre pleinement conscience de sa portée. «Ceux qui peuvent se le permettre préfèrent, pour le moment, laisser les logements vacants», constate François Gagnon président Era Europe et Era France. Quant aux autres, Jean-Pierre Rouas, président de la Chambre Fnaim des Bouches-du-Rhône craint qu’ils «n’aient des velléités de revendre leurs biens lorsque ceux-ci deviendront vacants». Une stratégie qui devrait connaître un certain succès car il est probable que la taxation des plus-values immobilières soit allégée par la prochaine loi de finances. Quant aux particuliers tentés par un premier investissement locatif, ils préfèrent reporter leur projet sine die. «On a envoyé un très mauvais message aux candidats bailleurs», conclut Nicolas Bouscas.

Valérie valin-Stein

Un encadrement peu efficace dans un marché atone

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