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Focus sur la majoration de 30 % des droits à construire: construire plus... mais sous conditions

La majoration de 30 % des droits à construire, destinée à lutter contre la pénurie de logements, a été votée le 20 mars 2012. Si, en théorie, ce dispositif semble efficace, sa mise en œuvre se heurte à divers obstacles.

La loi sur la majoration des droits à construire vient d’être votée (loi n° 2012-376 du 20.3.12, JO du 21). Le texte prévoit que les droits à construire résultant des règles de gabarit, de hauteur, d’emprise au sol ou de coefficient d’occupation des sols (COS), fixées par le plan local d’urbanisme (PLU), le plan d’occupation des sols (POS) ou le plan d’aménagement de zone (PAZ), seront majorés de 30 %. Cela afin de permettre l’agrandissement ou la construction de bâtiments à usage d’habitation. Ainsi, un promoteur aura le droit de construire un programme plus vaste que celui initialement prévu, un particulier aura plus de facilités pour agrandir sa maison ou diviser sa parcelle de terrain, un immeuble pourra être surélevé d’un ou de plusieurs étages. Certains propriétaires ont, d’ores et déjà, commencé à évaluer le bénéfice qu’il était possible de tirer de cette loi. «On a vu arriver des clients qui voulaient augmenter le prix de vente de leur maison de 30 % sous prétexte que l’on pouvait majorer d’autant les droits à construire. D’autres abandonnent leur projet de déménagement au profit d’un agrandissement de leur résidence principale. Ils bénéficient ainsi d’un effet de levier en construisant pour 1 500 €/m² - coût de construction moyen - dans des communes où le mètre carré habitable se négocie jusqu’à 8 000 €. De plus, cette plus-value latente ne sera pas taxée au moment de la revente, puisqu’il s’agit d’une résidence principale», explique Laurent Demeure, président de Coldwell Banker France et Monaco. «Cette majoration peut, lorsqu’elle sera appliquée, faciliter les divisions de parcelles», souligne Stéphanie Le Beuze, fondatrice de Terra in design, une société spécialisée dans le développement de solutions de division de terrains clés en main.

Mais à y regarder de plus près, la portée de cette mesure semble restreinte. D’une part, elle ne s’appliquera qu’aux permis de construire et aux déclarations de travaux déposés avant le 1er janvier 2016. D’autre part, la disposition ne vise que les communes dotées d’un PLU, d’un POS ou d’un PAZ, c’est-à-dire celles d’une certaine taille ; les plus petites disposent seulement d’une carte communale. Par ailleurs, le législateur a exclu du dispositif les zones limitrophes des aéroports et concernées par un plan d’exposition au bruit, celles où s’appliquent les lois littoral ou montagne, ainsi que les secteurs sauvegardés. Même si ce n’est pas précisé expressément, la mesure ne rendra pas constructibles des terrains qui ne l’étaient pas. Elle ne permettra pas non plus de se passer de l’aval de l’architecte des Bâtiments de France dans les zones où cette autorisation est obligatoire.

Les maires pourront refuser la majoration

«Normalement, ce sont les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), qui ont la maîtrise de l’urbanisme. Cette mesure leur enlève cette prérogative», remarque Antonin Ollivier, juriste à l’Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil). En effet, la majoration de 30 % des droits à construire s’applique d’emblée, sauf si le conseil municipal prend une décision contraire. Jusqu’à présent, les différentes majorations de constructibilité qui existaient - par exemple, l’augmentation de 20 % du coefficient d’occupation des sols pour la construction de logements sociaux ou de bâtiments thermiquement performants - obéissaient à une logique inverse. Elles n’étaient applicables que sur décision du conseil municipal. Toutefois, les maires qui souhaiteraient appliquer la majoration de 30 % auront la possibilité de la limiter à certains quartiers de leur commune. «Cette sectorisation n’était pas prévue initialement, elle a été ajoutée par les parlementaires. Cela permettra de majorer la constructibilité dans des secteurs où il y a un enjeu particulier», explique Philippe Laurent, maire de Sceaux (92) et vice-président de l’Association des maires de France (AMF) Enfin, le texte prévoit qu’un conseil municipal qui a décidé d’appliquer la majoration des droits à construire pourra y mettre fin à tout moment, partiellement ou sur la totalité du territoire communal.

Le dispositif ne s’appliquera pas avant plusieurs semaines

La loi prévoit que la mesure s’appliquera de plein droit dans les 9 mois qui suivront sa promulgation, c’est-à-dire, au plus tard, le 21 décembre 2012. Avant cela, les municipalités devront, quelle que soit la décision qu’elles envisagent de prendre, respecter un formalisme précis. «Les communes devront obligatoirement organiser une consultation publique avant le 21 septembre 2012. Les modalités de cette dernière sont laissées à la libre appréciation de la collectivité locale: il peut s’agir de réunions publiques ou simplement de la mise en ligne du dossier de consultation. La population dispose d’un mois pour donner son avis. La synthèse de cette concertation sera présentée au conseil municipal, qui décidera alors d’appliquer, ou non, la nouvelle disposition. Si oui, la majoration s’appliquera 8 jours après cette présentation», précise Antonin Ollivier. Guy Portmann, président du groupe de promotion immobilière France Terre, a fait les calculs et estime que, même dans les communes les plus diligentes, «compte tenu des délais incompressibles, le nouveau dispositif ne s’appliquera pas avant la fin du mois de mai».

Certaines municipalités semblent sur la réserve

En fait, les maires paraissent assez réticents à accroître la densification de leur commune. «Il existait déjà des possibilités de majorer la constructibilité, et elles n’étaient pas utilisées par les maires», relève Pascale Poirot, présidente du Syndicat national des aménageurs lotisseurs (Snal). «Généralement, face à l’opposition de leurs administrés, les communes n’arrivent pas à exploiter la totalité des droits à construire dont elles pourraient disposer. Donnons-nous déjà les moyens d’appliquer les plans locaux d’urbanisme existants», renchérit Philippe Laurent. De grandes agglomérations, telles que Paris et Toulouse, auraient, d’ores et déjà, fait part de leur volonté de s’opposer à la majoration des droits à construire souhaitée par le président de la République.

Une efficacité qui reste à prouver

Dans les communes qui accepteront la majoration des droits, l’application du dispositif risque de se heurter à de nombreux obstacles. Techniques, tout d’abord, pour les copropriétés qui auraient des velléités de surélever leur immeuble. «Il faut commencer par vérifier si l’immeuble peut supporter un étage supplémentaire. Certes, en architecture, il n’y a jamais de problèmes techniques qui ne puissent être résolus, mais il se peut que la mise en œuvre rende l’opération financièrement peu intéressante», affirme Jacques Paul, architecte et président des Architecteurs. Sans oublier que des travaux de cette ampleur requièrent l’approbation de l’ensemble des copropriétaires. Et rien ne dit que les occupants du dernier étage seront enclins à accepter des mois de nuisances pour, au final, avoir des voisins au-dessus de chez eux. Et ce, même si la vente de ces mètres carrés supplémentaires pourrait servir à financer de gros travaux de rénovation de l’immeuble ou à améliorer sa performance énergétique.

Autre frein, juridique cette fois, à l’application du dispositif: la majoration des droits à construire devra se conjuguer avec les règles d’urbanisme existantes. «Par exemple, de nombreux plans locaux d’urbanisme imposent d’aménager une place de stationnement pour 50 m² de surface habitable. Un particulier qui voudrait agrandir une maison ne disposant que de très peu de terrain ou qui souhaiterait transformer son garage en habitation ne pourra pas satisfaire à cette obligation. Son projet sera alors remis en cause», prévient Jacques Paul. Cela étant, «il est possible, en cas de problème technique, de payer une taxe pour non-création de place de parking», signale Guy Portmann. Mais cette taxe pouvant représenter plusieurs milliers d’euros, les propriétaires ne seront pas forcément disposés à débourser une telle somme. Autre élément susceptible de rendre l’augmentation des droits à construire inapplicable: la règle de prospect, qui impose une distance minimale - en général, 4 m - entre deux constructions. Or, «cette règle ne disparaît pas avec la majoration des 30 %», avertit Stéphanie Le Beuze.

En définitive, le frein le plus important reste, sans doute, la levée de boucliers à laquelle les élus risquent d’être confrontés. «Augmenter la densité, c’est aller au-devant de problèmes de voisinage», relève Gilles Bayon de la Tour, directeur général délégué d’Ogic. Si, en dépit des réticences de leurs administrés, certains maires décidaient de majorer la constructibilité, les recours, déjà nombreux, contre les permis de construire pourraient se multiplier.

Valérie Valin-Stein

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