Publicité

Focus sur les ratés de l'immobilier défiscalisé: investissements locatifs, les propriétaires floués

Loyers impayés, gestionnaires en faillite, locataires aux abonnés absents, nombre de particuliers ayant investi dans l’immobilier locatif défiscalisé ont connu des déconvenues et saisi la justice. Les premières décisions ont été rendues.

L’argumentaire commercial, parfaitement rodé, jouait sur la corde sensible de particuliers en quête d’un placement de «bon père de famille». À en croire les professionnels, les biens immobiliers étaient situés dans des zones florissantes (sur le plan économique pour les investissements Borloo ou Robien, sur le plan touristique pour les résidences de tourisme bénéficiant du régime Demessine). L’acquéreur ne déboursait rien, puisque les loyers étaient censés couvrir les remboursements du prêt contracté pour financer l’opération et il bénéficiait d’un avantage fiscal (amortissement avec les régimes Borloo ou Robien, réduction d’impôt avec le dispositif Demessine). Puis, passée la durée minimale de détention exigée par le fisc (de 6à 15 ans), l’investisseur avait le choix: reprendre le bien pour son usage propre, continuer à le louer et s’assurer un complément de revenus ou le revendre en engrangeant au passage une substantielle plus-value. À l’appui de ces arguments chocs, des plaquettes publicitaires flatteuses et des simulations financières très alléchantes. Aujourd’hui, elles se sont révélées mensongères. On estime ainsi à plus de 100 000 le nombre de plaintes déposées par des investisseurs sciemment dupés.

Des manipulations financières et des locataires fantômes

Dans les plaquettes, les simulations financières étaient faussées car elles omettaient d’intégrer les charges. «Les calculs gommaient systématiquement toutes les sorties budgétaires», déplore Thierry Mahieux de l’Adim (Association de défense des investisseurs et mandataires abusés). «Les impôts fonciers ou les honoraires encaissés par le gestionnaire à l’entrée de chaque nouveau locataire étaient également omis», ajoute maître Caroline Pipart, avocate au barreau de Paris. Quant aux loyers retenus dans les calculs, ils étaient surévalués. Pour bénéficier de l’avantage fiscal, les investisseurs en Borloo ou Robien, doivent respecter des plafonds, variables suivant la localisation du bien. Or, dans les simulations, étaient systématiquement appliqués les maxima autorisés, en général supérieurs aux loyers de marché. Les investisseurs se sont vite aperçus qu’ils ne pouvaient pas louer aux tarifs promis par les commerciaux. Ils ont dû revoir à la baisse leurs prétentions et financer de leur poche le différentiel entre la mensualité du crédit et le loyer «réel». Autre déconvenue: dans certains secteurs géographiques, le déséquilibre entre le nombre de biens mis en location et la faiblesse de la demande locative était tel que les propriétaires ont eu de grandes difficultés à trouver un locataire. Et ce, quel que soit le loyer réclamé. Beaucoup ont dû se résigner à vendre leur bien, souvent «à la casse», quitte à s’exposer à une requalification fiscale, l’engagement locatif n’ayant pas été respecté.

Des Exploitants en faillite

La problématique est un peu différente dans les résidences de tourisme acquises dans le cadre du régime Demessine. Les investisseurs ont, eux aussi, été victimes de manipulations financières. Dans leur cas, ce n’est pas l’application de plafonds de loyers prévus par la loi qui a permis de tronquer les simulations mais la pratique - légale - des fonds de concours. Ces derniers, qui atteignaient parfois unan de loyers, étaient versés par le promoteur de la résidence à son exploitant pour lui permettre de «lancer» sa nouvelle implantation touristique. Mais, en pratique, ils servaient à financer les premiers mois de loyers. Ceux-ci étaient, en effet, tellement surévalués qu’ils n’étaient pas tenables sans cette «subvention». Une fois leurs fonds de concours épuisé, les exploitants multipliaient les pressions auprès des propriétaires pour qu’ils consentent à une baisse substantielle des loyers (de 40à 60%), n’hésitant pas à menacer les plus récalcitrants de résilier leurs baux ou de mettre la clef sous la porte. Une menace pas forcément vaine car, depuis 2008, plus de 15exploitants de résidences de tourisme ont déposé le bilan. La loi de finances pour 2010 a assoupli les contraintes fiscales pesant sur les investisseurs Demessine en panne de gestionnaires, en leur permettant de gérer eux-mêmes leur résidence ou d’indexer une partie de leurs loyers sur le chiffre d’affaires de la résidence. Toutefois, le risque financier demeure. «Pendant un an, faute de gestionnaire, la résidence dans laquelle j’ai investi, est restée fermée et nous avons dû assumer les charges de fonctionnement sans percevoir le moindre loyer», se souvient Mireille Pierret, propriétaire d’un appartement à Orcières-Merlette (05) et présidente de la Fédération des associations de résidence de service (Fedars).

Les actions pour dol se multiplient

Les investisseurs ont pris conscience que, loin d’être des cas isolés, ils avaient été victimes de réseaux parfaitement rodés. Ils ont commencé à s’organiser, en se regroupant en association, puis ont saisi la justice. Les cas les plus graves ont été portés au pénal. Par exemple, l’affaire Appolonia dans laquelle douze personnes, dont trois notaires, sont mises en examen. «Nous sommes face à une escroquerie qui s’appuie sur l’usage de faux en écriture. Les dates des contrats de prêt ont systématiquement été falsifiées afin de s’affranchir du délai de 10 jours, prévu par la loi Scrivener entre la réception de l’offre de prêt et sa signature», explique l’avocat marseillais Jacques Gobert. Mais ce sont généralement les tribunaux civils qui ont été saisis. En effet, la majeure partie des investisseurs ont été victimes de «manœuvres dolosives» au sens où on leur a fait des promesses, objectivement non tenables, qui ont été déterminantes dans leur prise de décision. «C’est le cas lorsque l’on fait miroiter un loyer garanti qui, en réalité, n’a pu être assuré les premières années que grâce aux fonds de concours versé par le promoteur», rappelle maître Hélène Feron-Poloni, avocate associée au cabinet Lecoq-Vallon et associés.

Certains invoquent le défaut d’information

Les victimes de dol peuvent réclamer la nullité de la vente ainsi que des dommages et intérêts au titre des sommes déboursées en marge de l’acquisition (honoraires de gestion locative, frais de dossier du crédit immobilier, etc.). Lorsqu’on obtient la nullité de la vente, les parties sont replacées dans la situation dans laquelle elles se trouvaient avant d’avoir contracté. L’acheteur rend le bien au promoteur qui lui rembourse la somme. Mais cette mécanique s’enraye lorsque le vendeur n’est pas solvable. «On vient de me confier une affaire dans laquelle, après des années de procédure, les investisseurs ont enfin obtenu l’annulation de la vente. Seulement, entre-temps, le promoteur a fait faillite et mes clients doivent payer les mensualités d’un bien qu’ils ne possèdent plus», souligne maître Gobert. Pour éviter cet écueil, certains avocats préfèrent abandonner l’action en nullité pour réclamer des dommages et intérêts aux intervenants les plus solvables (notaire ou banque, par exemple). D’autres invoquent une solidarité entre tous les professionnels ayant été partie prenante dans l’opération (conseil en gestion de patrimoine, banquier, notaire). Des procédures en annulation de vente ont déjà été couronnées de succès en première instance. Mais, pour le moment, ces décisions ne sont pas définitives, les défendeurs ayant fait appel. En revanche, hors des prétoires, des investisseurs lésés ont obtenu des annulations transactionnelles, c’est-à-dire… amiables.
Pour éviter les risques inhérents à une action en nullité de la vente, certains avocats ont préféré invoquer, toujours devant les juridictions civiles, le défaut d’information. «Lorsque les intervenants n’ont pas usé de procédés frauduleux mais ont simplement mal renseigné les investisseurs, en ne leur expliquant pas, par exemple, les spécificités d’un bail commercial, on peut engager une action en responsabilité pour défaut d’information et obtenir des dommages et intérêts», explique maître Gobert.

Assigner seulement les protagonistes solvables

En théorie, il est possible d’attaquer tous les protagonistes qui ont participé à l’opération: conseil en gestion de patrimoine, promoteur, voire notaire lorsqu’une seule étude s’est chargée de l’ensemble des ventes. «On peut, par exemple, assigner un notaire pour manquement au code du tourisme. Que penser, en effet, d’un notaire qui valide un règlement de copropriété stipulant que les locaux de services d’une résidence de tourisme (les salons ou la piscine, ndlr) sont des parties privatives appartenant au promoteur ou à l’exploitant? s’interroge l’avocat parisien Paul Duvaux. Le code du tourisme prévoit qu’un règlement de copropriété doit être conforme à l’utilisation des locaux et il est évident que les locaux de services sont indispensables au fonctionnement d’une résidence de tourisme.» Mais plus vous assignerez de protagonistes, plus la procédure sera longue. «Si l’on veut aller relativement vite, il ne faut attaquer qu’une ou deux personnes. Et il vaut mieux se poser deux questions avant: quelles sont les chances de succès et qui est solvable?», conclut maître Duvaux.

Valérie Valin-Stein

Focus sur les ratés de l'immobilier défiscalisé: investissements locatifs, les propriétaires floués

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner