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Focus sur la nouvelle organisation du marché: la facture d'électricité va grimper d'au moins 6 % en 3 ans

Dès juillet, la loi contraint EDF à vendre une part de son électricité d’origine nucléaire aux autres opérateurs à un prix élevé. Pourtant, la hausse de la facture des particuliers devrait rester modérée jusqu’en 2015.

Le gouvernement a tranché. Le 17mai, Éric Besson, le ministre de l’Industrie et de l’Énergie, a publié plusieurs arrêtés fixant le coût de revente de l’électricité aux opérateurs alternatifs (GDF Suez, Poweo, Direct Énergie) à 40€ le mégawattheure (1MWh =1 000kWh) dès le 1erjuillet et à 42€ au 1erjanvier 2012. Cette décision met un terme, au moins provisoirement, aux atermoiements résultant de la mise en œuvre de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (loi Nome, n°2010-1488 du 7.12.10 ; voir ci-dessous), qui entre en vigueur le 1erjuillet 2011. Cette mesure aura des répercussions sur la facture des ménages, les tarifs réglementés d’EDF augmenteront, en effet, d’au moins 6% d’ici à 2015.

Le marché s’ouvre à la concurrence

Pour comprendre les enjeux de la loi Nome et son incidence sur les tarifs, il est nécessaire de faire un retour en arrière. Sous la pression de Bruxelles, le gouvernement a été contraint de mettre fin au monopole d’EDF et d’ouvrir le marché de la distribution de l’électricité à la concurrence. Depuis le 1erjuillet 2007, les 30,3millions de foyers raccordés au réseau électrique peuvent ainsi renoncer aux tarifs dits régulés d’EDF pour bénéficier des tarifs libres de ce fournisseur ou de ses concurrents. Ces tarifs libres sont censés être plus compétitifs compte tenu du jeu de la libre concurrence entre fournisseurs. Selon une étude de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), l’écart entre tarifs libres et réglementés peut atteindre 17%. En contrepartie, en cas de forte hausse des tarifs libres, les bénéficiaires de ces nouvelles offres devaient perdre le droit de revenir aux tarifs régulés. Quatre ans plus tard, la réalité du marché est tout autre. Les opérateurs alternatifs n’ont pas su développer leurs propres capacités de production dans un secteur très gourmand en capitaux, tandis qu’EDF a continué à imposer ses prix au marché, en restant le principal producteur, distributeur et transporteur d’électricité. Les tarifs de marché ont dès lors augmenté davantage que les tarifs réglementés d’EDF. Dans un contexte de forte hausse du coût de l’énergie et pour répondre à la demande pressante des entreprises passées aux tarifs libres, l’État créait, en 2007, le tarif réglementé transitoire d’ajustement de marché (Tartam), permettant le retour des entreprises aux tarifs régulés. Les particuliers peuvent, pour leur part, revenir à ces tarifs depuis la loi du 21janvier 2008. Une possibilité confirmée par la loi Nome, jusqu’au 31décembre 2015 (article14). Face à cette valse-hésitation des pouvoirs publics français, la Commission européenne a ouvert, dès juin 2007, une procédure d’infraction contre la France, en raison de l’illégalité des tarifs «subventionnés» au regard du droit communautaire. L’objectif était de faire correspondre les tarifs de l’électricité en France avec leur coût économique réel. Poussé par Bruxelles, le gouvernement a alors commandé un rapport à Paul Champsaur, ancien président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Remis le 24avril 2009, ce rapport proposait, notamment, l’accès régulé des opérateurs alternatifs à la production d’électricité nucléaire. Une proposition retenue dans la loi Nome.

L’accès à l’électricité nucléaire est garanti aux concurrents d’edf

Cette législation permet à tout opérateur fournissant les consommateurs sur le territoire national d’obtenir d’EDF une quantité d’électricité d’origine nucléaire à un prix prédéfini. Le texte précise ainsi qu’EDF devra proposer jusqu’à 25% de son électricité nucléaire à prix coûtant, et donc partager avec ses concurrents la production des 58centrales françaises construites avec des fonds publics. Ces derniers sont ainsi assurés de bénéficier d’un approvisionnement en énergie à long terme, et à coût maîtrisé. Le second objectif de la loi Nome est de maintenir en France les prix de l’électricité en moyenne 40% plus bas qu’ailleurs en Europe, grâce à la compétitivité de l’énergie nucléaire. Enfin, le tarif proposé dans le cadre de cette loi doit refléter la réalité des coûts complets du parc historique de production nucléaire français. Il s’agit donc d’intégrer au prix de revente de l’électricité non seulement les coûts de production, mais aussi les frais de maintenance du parc nucléaire, les coûts d’investissement ainsi que ceux liés au démantèlement des centrales et à la gestion des déchets. Le gouvernement souhaite ainsi préserver la capacité de l’exploitant à investir dans la maintenance et la sûreté du parc nucléaire français.

Le prix de l’électricité doit être validé par la commission européenne

Depuis des mois, les intervenants du secteur se divisent sur la méthode de calcul du prix de l’électricité nucléaire. La loi Nome ne précise pas le prix du mégawattheure fourni par EDF à ses concurrents ; elle se limite à renvoyer à un décret pour sa fixation. Consultée par l’État, la Commission de régulation de l’énergie avait conseillé une fourchette comprise entre 36 et 39€/MWh pour le tarif de vente de gros, dit accès régulé au nucléaire historique (Arenh). L’État n’a pas suivi cette recommandation et a pris le parti d’EDF, qui réclamait 42€. Éric Besson a justifié ce tarif élevé par le coût des investissements nécessaires à l’entretien du parc nucléaire et à son adaptation à la suite de la catastrophe de Fukushima. Pour l’heure, le gouvernement n’a pas dévoilé la méthode de calcul sur laquelle se fonde ce tarif de 42€. L’enjeu est pourtant de taille. Ce n’est qu’une fois cette méthode publiée que la Commission européenne donnera son aval à la loi Nome et lèvera, ou non, les procédures engagées contre la France. «Le manque d’information sur la méthode pour fixer le prix de l’Arenh ne nous permet pas de conclure que les prix proposés sont justifiés et susceptibles d’encourager la concurrence», soulignait, en mai, la porte-parole du commissaire européen à la Concurrence, Joaquin Almunia.
Le montant des investissements fait, lui aussi, débat. Avant l’accident de Fukushima, EDF avait indiqué avoir besoin de 35milliards d’euros d’ici à 2030 pour prolonger le parc nucléaire de 30 à 40ans. Depuis, le gouvernement a lancé un audit des centrales nucléaires françaises pour connaître le coût des investissements nécessaires. Celui-ci risque d’être supérieur au montant avancé par EDF. Les opérateurs concernés (EDF et GDF-Suez) ont jusqu’au 15septembre pour adresser leur réponse à l’Autorité de sûreté nucléaire. Il faudra attendre au moins la fin de l’année pour disposer d’une estimation fiable. Une chose est certaine aujourd’hui: le surcoût dû à la maintenance du parc nucléaire français devrait tirer le prix du mégawattheure vers le haut dans les 5ans à venir.

Les tarifs seront gelés pendant un an

Les particuliers ne seront pas les premiers touchés par la hausse de l’électricité. Ce sont d’abord les entreprises qui vont voir le montant de leur facture grimper, avec l’arrêt des tarifs Tartam dès le 1erjuillet. Quant à la hausse du prix du mégawattheure vendu aux fournisseurs alternatifs (Arenh), elle n’aura pas d’incidence dans l’immédiat pour les particuliers bénéficiant du tarif régulé. Après l’augmentation de 2,9% (1,7% pour le tarif bleu et 1,2% pour la contribution au service public de l’électricité), qui prendra effet au 1erjuillet et qui a été décidée avant l’entrée en vigueur de la loi Nome, le gouvernement a décrété le gel des tarifs jusqu’au 1erjuillet 2012. Mais il pourra à nouveau les geler par la suite. «Jusqu’en 2015, c’est le gouvernement qui décide. Il n’y a pas de lien mécanique automatique entre la fixation d’un prix de gros pour les concurrents d’EDF et les tarifs de détail, qui resteront régulés», a expliqué Éric Besson en mai. À condition de passer outre l’un des principes de la loi Nome, qui prévoit qu’à l’horizon 2015 les tarifs réglementés et ceux de l’Arenh convergent. Si ce principe était appliqué, les prix régulés augmenteraient nécessairement.

Au moins 6% de hausse à attendre d’ici à fin 2015

Dès 2009, la commission Champsaur estimait que si le prix du mégawattheure était établi à 39€, la hausse des tarifs réglementés de l’électricité devrait atteindre 6,5% par an en moyenne d’ici à 2015. De son côté, Henri Proglio, le président d’EDF, annonçait, le 24mai, qu’une hausse moyenne de 2,5% par an d’ici à 2015 serait nécessaire pour «la production, le transport, la distribution et la contribution au service public de l’électricité». Si la convergence entre les prix de l’Arenh et les tarifs réglementés était respectée, un rapide calcul permet de mesurer la hausse attendue à court terme. Sachant que le coût de revente du mégawattheure sera fixé, dès janvier 2012, à 42€ et que son coût moyen de production est aujourd’hui facturé au particulier autour de 35€, l’augmentation serait donc de 7€. Le tarif actuellement appliqué aux particuliers -qui intègre, en plus, le coût du transport et les taxes- s’élevant à 125€/MWh, la hausse de 7€ rapportée à ce coût total correspond ainsi à une augmentation des tarifs aux particuliers de l’ordre de 6% d’ici à 2015. Toutefois, cette hypothèse ne tient pas compte du coût de la révision des centrales nucléaires qui sera entreprise à la suite de l’audit mené sur le parc nucléaire français, ni de l’augmentation probable des coûts d’acheminement de l’énergie -qui représentent le tiers de la facture du consommateur- dans les années à venir, les réseaux de transport de l’électricité vieillissant eux aussi. En définitive, la facture risque fort d’augmenter davantage à moyen terme.

Les opérateurs alternatifs satisfaits

Pour les opérateurs alternatifs, la mise en place du tarif Arenh garantit désormais l’accès à l’électricité issue de la filière nucléaire au tarif de 42€. Jusqu’à présent, le monopole d’EDF sur le marché de la production nucléaire les obligeait à s’approvisionner ailleurs. Dès lors, ils pouvaient soit mettre en place leurs propres outils de production (centrales non nucléaires, parcs éoliens ou solaires…), soit acheter l’électricité sur le marché à un coût élevé, non représentatif de ceux de la production française. «Une partie de notre approvisionnement provenait d’achats sur les marchés de gros, à environ 60€/MWh», explique Fabien Choné, directeur général délégué de Direct Énergie. Certains opérateurs étaient donc pris en tenailles, EDF proposant des tarifs réglementés très inférieurs à leurs propres prix d’achat. «Aujourd’hui, nous vendons l’électricité moins chère que son prix de revient», confirme Jean-Christophe Cheylus, directeur général adjoint de Poweo. D’où le scepticisme des Français quant à la viabilité des opérateurs alternatifs: seulement 1,6million de clients ont quitté EDF. «La garantie d’un approvisionnement à 42€ avec la loi Nome est donc une bonne nouvelle pour nous», poursuit Fabien Choné. Pour accéder au tarif Arenh, les opérateurs devaient en faire la demande avant le 1erjuin, pour une première livraison le 1erjuillet. «Tous les fournisseurs alternatifs en ont déposé une», précise Alexandre Raulot, directeur Tarifs et prix d’EDF. L’accès à ce nouveau tarif leur laisse une marge de manœuvre supplémentaire pour leur tarification. Faut-il attendre une baisse des prix? Les fournisseurs en rejettent tous l’hypothèse, se montrant prudents quant à l’impact des nouvelles normes en matière de sécurité. Ils préfèrent même évoquer une hausse de leurs tarifs (voir l’interview ci-dessus). «Mais si le tarif de l’électricité augmente, la raison tient plus à la hausse du coût de maintenance des infrastructures qu’à l’effet direct de la loi Nome», rappelle Jean-Christophe Cheylus. À l’évidence, la catastrophe de Fukushima va laisser des traces dans le paysage nucléaire mondial. La Suisse et l’Allemagne viennent d’annoncer leur sortie progressive du nucléaire. La France -dont 78% de l’électricité est d’origine nucléaire en 2010- a, pour l’heure, fait le choix du maintien de son parc. Mais le temps de l’électricité nucléaire à faible coût semble révolu. Et la publication d’un tarif Arenh élevé ne devrait pas inciter de nouveaux acteurs à s’intéresser au marché de l’électricité. En cela, la loi Nome n’apportera probablement pas de grands changements.

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